Écrit et réalisé par Léa Bordier et Lisa Miquet
Sortie : 18 avril 2017
YouTube compte aujourd’hui plus d’un milliard d’utilisateurs, soit près d’un tiers des
internautes du monde entier.
La consommation de contenus sur YouTube fait à présent partie de la culture de masse des
moins de 30 ans.
Pourtant, dans le top 100 des chaînes françaises, seulement une dizaine de créatrices vidéo.
Et les plus influentes abordent des sujets plutôt stéréotypés : mode, cuisine et maquillage.
Si les “Youtubeuses beauté” jouissent déjà d’une belle couverture, comment visibiliser les autres, celles qui naviguent entre l’humour et l’art, le gaming et l’Histoire, les sujets de société et le cinéma, les conseils de vie et la beauté, la littérature et les voyages ? Pour raconter leurs histoires, Léa et Lisa sont donc parties à la rencontre d’une quinzaine de créatrices à travers la France. Quelles sont leurs motivations ? À quels obstacles sont-elles confrontées ?
Bref, à quoi ressemble le quotidien d’une « Youtubeuse » ?
Mais aussi :
Cordelia Flourens, juriste chez YouTube
Laurence Rossignol, ancienne Ministre des Familles, de l'Enfance et des Droits des femmes
Comme beaucoup d’internautes de notre génération, nous sommes de grosses consommatrices de vidéos web. Mais en faisant le tour de nos abonnements sur YouTube, le constat nous a sauté aux yeux : nous avions beau avoir très envie de regarder des productions réalisées par des femmes, elles semblaient très peu nombreuses ! Avec ce documentaire, nous avons 3 ambitions : soulever les problématiques rencontrées par les jeunes créatrices de vidéo sur internet, trouver des solutions pour les surmonter et motiver un maximum de jeunes femmes à entrer dans le débat public en prenant la parole par le biais de la vidéo.
Pour nous, les hommes sont de véritables alliés. L’impact des créateurs de vidéo qui mettent en avant le travail de femmes est très important. En juin dernier, les Internettes ont fait campagne sur les réseaux sociaux avec le hashtag #YoutubeusesDay, et les “Youtubeurs” ils étaient très enthousiastes à l'idée de participer au mouvement pour les visibiliser. Cyprien par exemple y est très sensible, PV nova a animé une de nos masterclass... Clairement, c'est une cause qui mérite que l'on soit le plus nombreux possible à s'engager !
Plusieurs tendances expliquent que les femmes soient si peu visibles sur YouTube. YouTube est avant tout un miroir de la société et malheureusement dans notre pays, les femmes sont aussi invisibilisées dans les métiers techniques de l'audiovisuel, dans les médias, dans la prise de parole en public, trois domaines que l'on retrouve dans la création vidéo sur la plateforme de Google.
"Mais personne ne les contraint au silence sur YouTube ! Elles peuvent le faire gratuitement, il suffit juste d'avoir du matériel d'enregistrement, les hommes ne les en empêchent pas !" nous répond-t-on parfois. Le problème est complexe. L'algorithme de YouTube répond aux habitudes de consommation des internautes et si les youtubeurs sont aussi bien regardés par les hommes que par les femmes, nous constatons que les femmes sont elles moins regardées par les hommes... Mais aussi par les femmes elles-mêmes. L'algorithme fait donc tomber leur visibilité (dans les "tendances" et "recommandations") et les voilà prises dans le cercle vicieux de l'invisibilité. On en voit moins, on croit qu'il y en a moins, et en tant que femme, on se projette moins dans le rôle de créatrice vidéo. Aux Internettes, nous croyons qu'en montrant des femmes talentueuses sur YouTube, nous en inspirent d'autres à se lancer.
Enfin, on entend beaucoup parler en ce moment de cyberharcèlement et de ce que subissent les femmes qui s'expriment sur internet. C'est un frein énorme pour les jeunes femmes qui ont peur d'être jugées sur leur physique, d'être insultées, voire harcelées. Malheureusement sur Internet, il y a des personnes que cela dérange de voir que les femmes ne sont pas bonnes qu'à "faire des sandwiches dans leur cuisine".
Bien qu’il soit parfois très marquant par sa virulence, le cyberharcèlement est un phénomène difficile à quantifier. De nombreuses “petites” créatrices nous ont raconté ne jamais avoir été confrontées à ce problème au sein de leur communauté, d’autres nous ont relaté des anecdotes difficiles. Le sexisme sur Internet touche aussi les hommes. On les enjoint à faire montre de virilité, d’éliminer toute leur sensibilité et leur fragilité, sous peine de subir des insultes homo- et transhpobes. C’est insupportable. Mais une chose est sûre : ce problème ne doit pas empêcher les jeunes femmes de prendre la parole sur YouTube. Elles sont légitimes sur tous les sujets et c’est désormais à la législation de s’adapter pour punir les harceleurs et non décourager les harcelé•es.
C'est en effet un des problèmes que nous essayons de résoudre avec l'association Les Internettes. Les femmes subissent un syndrome de l'imposteur assez colossal dès lors qu'il s'agit de prendre la parole en public. "Ce que j'ai à dire n'est pas intéressant, je ne suis pas spécialiste, je n'ai que de 'petites' connaissances..." Durant notre éducation, nous apprenons très tôt à ne pas faire de vagues, à garder notre langue dans notre poche, à avoir des activités silencieuses, à être sages. On ne nous "empouvoire" pas, on nous met rarement en position de leader et on nous apprend à ne pas nous vanter. Ces mécanismes ont des conséquences importantes sur la suite de notre vie physique comme sur YouTube : on ose moins demander une augmentation de salaire, on refuse des interventions publiques de peur de dire des bêtises... Et on finit par faire "une toute petite chaîne YouTube de rien du tout, oh, vraiment, juste pour la passion, rien de bien poussé" !
Les créatrices vidéo que l'on nous présente comme des modèles de réussite professionnelle viennent du milieu de la beauté ou de la mode. Là aussi c'est une question de rôle modèle. Depuis que Natoo cartonne en fiction humoristique, on voit des jeunes femmes tenter leur chance sur ce format et c'est tant mieux ! Si demain une créatrice de vidéos politiques monte en popularité, elle ouvrira aussi la voie pour d'autres.
En attendant, nous pensons que le succès des youtubeuses beauté et mode est largement mérité : ce sont de jeunes femmes qui travaillent dur, réalisent de belles vidéos, très calées dans leur domaine. On ne peut leur souhaiter que du succès même si bien entendu, nous faisons tout pour permettre aux femmes de se projeter sur des thématiques plus diverses sur lesquelles leur parole est tout aussi légitime. Il faut également bien prendre en compte qu'en lançant une chaîne youtube de mode ou beauté, les jeunes femmes se créent inconsciemment une zone de confort qui leur permet de se protéger de certains trolls qui ne se sentent pas concernés par la thématique.
Ce que nous faisons à notre niveau avec ce documentaire et au sein des Internettes est déjà un pas en ce sens. Tous les jours, Les Internettes partagent sur une page Facebook une vidéo d'une créatrice de talent. Et ça cartonne ! Ces actions nous amènent à rencontrer de nombreuses jeunes femmes qui se réjouissent d’avoir réussi à lancer leur chaîne grâce à nos encouragements. Le nouveau programme de formations de Google “#EllesFontYoutube” est également un levier conséquent pour la création féminine.
Beaucoup de jeunes femmes craignent le jugement des internautes et ne se permettent pas de droit à l’erreur. Pourtant, il faut bien commencer quelque part ! Il ne faut pas hésiter à sortir sa première vidéo avec ses imperfections et ses maladresses. Nous leur conseillons également de s’entourer et de fréquenter les espaces de rencontres avec les autres créateurs afin de récolter des critiques constructives sur leurs réalisations.
En plus d’être une grosse consommatrice de vidéos YouTube, Léa Bordier est réalisatrice. Diplômée d’un BTS audiovisuel et d’une Licence professionnelle orientée nouveaux médias, cette enfant du web a fait ses armes en mêlant ses passions : Internet, la musique et les médias (StreetPress.com, Milk Coffee Sugar et madmoiZelle.com). En tant que responsable vidéo au sein du magazine féminin madmoiZelle.com, elle a eu l’occasion de réaliser environ 1 000 vidéos, publiant un contenu par jour pendant trois ans et demi, tout en gérant tout le processus de production : de la conception à la mise en ligne. Forte de cette expérience, elle travaille à présent en tant que réalisatrice.
Diplômée de Sciences Po Grenoble et lauréate d’un prix du ministère de la Culture pour son projet de fin d’études, Lisa Miquet a débuté son parcours chez TF1, en tant que chargée de développement transmédia. Passionnée par les nouvelles formes de narration et les nouveaux usages numériques, elle a eu l’occasion de travailler avec les Nouvelles Écritures de France Télévisions, Telfrance ou encore madmoiZelle.com, sur l’écriture et la conception de projets interactifs. Touche à tout, elle travaille aussi en tant que photographe indépendante et journaliste culturelle pour le site web Konbini.